L’effondrement de la dernière dynastie chinoise des Qing, un avertissement pour le futur ?

 

“L’homme malade de l’Asie orientale” (Dōngyà bìngfū). Tel était le surnom de l’Empire de Chine durant la crise qu’il a connu au XIXe siècle, sous la dynastie mandchoue Qing (1644 à 1912). Une période tumultueuse encore surnommée par ses habitants le “siècle de l’humiliation” (Bǎinián guóchǐ), qui a abouti à l’effondrement de la dernière dynastie impériale à avoir régné sur “le pays du Milieu”.

En 1820 pourtant, l’économie chinoise représentait plus d’un tiers du PIB mondial. Et deux cents ans plus tard, la Chine revendique actuellement le statut de plus grande économie mondiale.

Depuis plus de deux siècles, donc, les chercheurs tentent d’identifier les causes de ce fameux déclin et ainsi, celles de l’effondrement des Qing – la dynastie était pourtant à l’époque considérablement plus riche que la Chine actuelle, soulèvent les auteurs d’une nouvelle étude.

Ces derniers, membres d’une équipe internationale dirigée par le Complexity Science Hub (CSH, Vienne, Autriche), annoncent avoir enfin identifié les principaux facteurs de cette chute. Leurs résultats, publiés dans PLOS One, révèlent “des parallèles avec l’instabilité moderne” et offrent “des leçons vitales pour l’avenir”, notent-ils dans un communiqué du 31 août 2023.

Plus nombreux, plus précaires, plus en rivalité

Catastrophes environnementales, incursions étrangères, famines, soulèvements… Les raisons suggérées par de précédentes recherches ne suffisaient pas à fournir une “explication complète intégrant l’interaction de tous les multiples facteurs impliqués”, écrivent les chercheurs.

C’est donc en combinant plusieurs d’entre eux qu’ils ont identifiés, à l’aide de la dite “théorie structurelle-démographique”, trois éléments qui ont pu être à l’origine des différents soulèvements en Chine au début du XIXe siècle, précipitant la fin des Qing.

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Tout d’abord, entre 1700 et 1840, la population est multipliée par quatre dans le pays. Chinois et Chinoises des zones rurales voient la taille de leurs terres diminuées, et se voient ainsi appauvries.

Dans les élites, la compétition s’intensifie. Les candidats sont de plus en plus nombreux à viser les hauts postes. En parallèle pourtant, soulignent les experts, le nombre de diplômes universitaires décernés et nécessaires pour obtenir une chaise dans les bureaux de la puissante bureaucratie chinoise, atteint son plus bas niveau en 1796. “Cette inadéquation entre le nombre de postes et ceux qui les désiraient a créé un grand bassin d’aspirants d’élite mécontents”, expliquent les experts.

Les dirigeants de la révolte des Taiping (1851-1864), guerre civile considérée comme l’un des conflits les plus meurtriers de toute l’Histoire — et dont la dynastie Qing a mis quinze ans à venir à bout — était d’ailleurs “tous des aspirants à l’élite qui avaient échoué”, indiquent-ils.

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Enfin, le fardeau financier du pays s’alourdit pour plusieurs raisons : la hausse des coûts de l’Empire liés à la répression des troubles sur son territoire, aussi à l’origine d’un lourd tribut en termes de vies chinoises perdues ; la baisse du niveau de productivité par habitant ; les pertes associées à l’épuisement des réserves d’argent, alors que les importations d’opium battent leur plein.

En 1840 et 1890, les tensions sociales sont à leur paroxysme dans le pays. D’autant qu’avec l’exercice du pouvoir de l’impératrice douairière Cixi (1835-1908) dès 1861, la corruption gangrène peu à peu l’administration de la Cité impériale. L’Empire est également militairement affaibli par la perte de sa flotte dans la guerre contre celui du Japon (première guerre sino-japonaise 1894-1895).

Conscient de la pression croissante, les dirigeants Qing lancent une série de réformes pour tenter de sauver le système impérial. Le quota de personnes pouvant réussir à certains examens a par exemple augmenté, sans que le nombre de débouchés ne le soit pour autant.

C’est déjà trop tard pour la dynastie Qing. La révolution chinoise de 1911 (Xīnhài Gémìng) aboutit à l’abdication du douzième et dernier empereur de Chine, l’enfant Puyi (1906-1967), et au renversement du pouvoir en place depuis deux cent soixante-huit ans.

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Similitudes actuelles et précieuses leçons

Pour les auteurs de l’étude, de précieuses leçons peuvent être tirées de ces événements, d’un passé moins lointain que ce que l’on imagine. “Il est crucial de comprendre les origines de telles instabilités, développe Peter Turchin, chercheur au CSH. Supposer que cela appartient au passé et ne peut pas se reproduire serait une erreur. De tels changements peuvent en effet se produire parce que les mécanismes sous-jacents présentent des similitudes surprenantes.”

De nombreux pays dans le monde sont aux prises avec une instabilité potentielle et des conditions qui ressemblent beaucoup à celles de la dynastie Qing […] Sans vision à long terme et sans stratégies ciblées pour atténuer ces pressions sociales, de nombreux endroits risquent de suivre la voie des Qing.

Les conclusions de leur étude pourraient ainsi permettre à des décideurs politiques d’identifier un certain nombre de “signaux d’alarme” — une concurrence féroce pour des postes élevés et limités, notamment. “Malheureusement, l’impact corrosif de l’augmentation des inégalités et de la diminution des opportunités se développe sur des échelles de temps plus longues, ce qui les rend difficiles à reconnaître”, admet Daniel Hoyer, coauteur et chercheur affilié au CSH.